Début du XXe siècle - L’ère des “calculatrices” et le Harem de Pickering
Le métier de calculateur en astronomie correspond à l’exécution d’opérations mathématiques en suivant un ensemble de règles fixes prédéfinies. L’obtention de résultats en astronomie à cette époque nécessite souvent d’effectuer énormément de calculs fastidieux. D’où l’apparition d’équipes de calculateurs, dont les tâches sont séparées de façon à pouvoir effectuer dans calculs sur un même sujet en parallèle.
Cette fonction correspondait à une position intermédiaire pour la plupart des calculateurs en attendant d’obtenir une meilleure position au sein de leur institution.
La plupart des domaines scientifiques étaient encore fermés/très sélectifs vis à vis des femmes et l’astronomie ne dérogeait pas à cette règle. Le métier de calculateur aussi était fermé aux femmes jusqu’au jour où vint l’idée à l'astronome américain Edward Charles Pickering de faire autrement, certes avec des objectifs discutables.
Edward Pickering, directeur de l’Observatoire de l’Université d’Harvard de 1877 à 1919 a pour projet la caractérisation et la classification des étoiles. Déçu par les résultats médiocres de ses collaborateurs masculins, Pickering déclara un jour que même sa bonne ferait un meilleur travail. Il décide plus tard de passer de la parole à l’acte et engage Williamina Fleming qui était effectivement sa bonne à l’époque en tant que calculatrice.
Williamina Fleming (1857 - 1911) naît à Dundee en Ecosse, y fait ses études et débute dans l’enseignement via le programme Pupil Teacher. Mariée au comptable James Orr Fleming en 1877 ils partent vivre aux Etats-Unis mais elle est abandonnée par son époux avec son fils et ayant besoin d’argent, est embauchée comme bonne par Edward Fleming qui l’embarquera plus tard dans son projet de classification des étoiles après avoir repéré ses talents. Ses contributions à ce projet sont nombreuses : classification de plus de 10 000 étoiles, découverte de 59 nébuleuses, de plus de 310 étoiles variables et de 10 novæ, publication en 1907 d’une liste de 222 étoiles variables.
Fleming fut la première membre d’un groupe important (plus de 80 membres) de femmes “calculatrices” appelées les Calculatrices d’Harvard (ou Harem de Pickering) engagées par par Edward Pickering durant la même période. Les raison qui ont motivé ce choix était principalement économiques, puisque les femmes travaillant en tant qu’astronomes pour l’Observatoire d’Harvard étaient payées beaucoup moins cher que les hommes (moins que les secrétaires de l’université). Certaines d’entre elles étaient même bénévoles, à l’instar d’Anna Winlock qui a réalisé des calculs sur la trajectoire des astéroïdes Éros et Ocllo.
D’autres facteurs, liés au phénomène sociologique appelé “Effet de Harem” entrent aussi en considération dans le cas des Calculatrices d’Harvard, comme la supposée absence de conflits potentiels au sein d’une équipe féminine, parce que les femmes seraient moins susceptibles d’entrer en compétition par rapport aux hommes.
C’est grâce au don de Mary Anna Draper veuve d’Henry Draper à l’observatoire en 1886, que Pickering put embaucher plus de calculatrices et publiera le premier Catalogue Henry Draper en 1890. Il embauchera ensuite d’autres calculatrices pour faire évoluer et préciser cette classification et certaines d’entres elles comme Annie Jump Cannon se distingueront particulièrement.
Née à Dover dans le Delaware, Annie Jump Cannon (1863 - 1941) est encouragée par ses parents (Le sénateur Wilson Lee Cannon et Mary Elizabeth Jump Cannon) à étudier l’astronomie, les mathématiques et la physique. Elle fait ses études au Wellesley College et obtient son diplôme en 1884. Après une carrière d’enseignante et photographe professionnelle dans le Delaware, elle décide de se réorienter parce qu’elle perdait le sens de l’ouïe à cause d’une scarlatine. Embauchée par la physicienne Sarah Frances Whiting avec qui elle avait étudié au Wellesley College elle devient enseignante junior est suit des études de mathématiques puis rejoint en tant qu’étudiante spéciale le Radcliffe College, proche d’Harvard et rencontre ainsi Edward Pickering alors directeur de l’observatoire d’Harvard qui la recrute dans une équipe de calculatrices.
Annie Jump Cannon fait partie d’une équipe chargée de terminer le catalogue d’étoiles d’Henry Draper et de mettre en place une cartographie du ciel. Se basant sur les travaux de ses collègues Williamina Fleming et Antonia Maury, elle développe un système de classification qui est toujours utilisé pour désigner les types spectraux des étoiles. Elle publie en 1901 la description de 1122 des étoiles les plus brillantes, après avoir simplifié la classification de Fleming, ne conservant que certaines classes d’étoiles. Entre 1911 et 1915 elle classe un très grand nombre d’étoiles (avec un rythme d’environ 5000 étoiles par mois), et est mondialement reconnue comme une experte en classification d’étoiles.
Elle exerce la fonction de secrétaire de l’American Astronomical Society entre 1912 et 1919, période pendant laquelle elle est élue membre honoraire de la Royal Astronomical Society de Londres (1914).
Le catalogue Henry Draper, sur lequel Annie Jump et ses collègues ont travaillé pendant plusieurs années, est publié entre 1918 et 1924. Elle en dirige la publication après le décès d’Edward Pickering en 1919.
Annie Jump Cannon est la prmière femme à devenir docteur en astronomie de l’université de Groningue (en 1921) et reçoit de très nombreuses distinctions dans sa carrière d’astronome : élection parmi les douze plus importantes Américaines vivantes par la National League of Women Voters, doctorat honorifique de l’université d’Oxford en 1925, la médaille Henry-Draper en 1931, le prix Ellen Richards en 1932 qui servira à la création du prix d'astronomie Annie J. Cannon. Dans le cadre de l’American Innovation Dollar, l’État du Delaware émet en 2019 une pièce avec les mentions “ANNIE JUMP CANNON - CLASSIFYING THE STARS - DELAWARE” en son honneur.
La lutte pour les droits des femmes sera aussi fortement influencée par Annie Jump Cannon, qui use de sa notoriété acquise par ses exploits dans le monde scientifique. Elle lutte ainsi pour une meilleure intégration des femmes en sciences. Elle rejoint aussi le National Women’s Party et revendique activement le droit de vote pour les femmes. Cette époque fut marquée par une nette évolution de la perception des femmes dans le monde scientifique, et les solides contributions d’Annie Jump et ses collègues calculatrices serviront à façonner le monde de l’astronomie tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Le XXIe siècle - L’astronomie moderne
À la fin du 20e siècles, les domaines scientifiques deviennent de plus en plus ouverts aux femmes (Postes à responsabilités dans les universités, distinctions, conférences, etc…). Les importantes contributions des femmes mais aussi les injustices observées durant le siècle précédent servent aussi de moteur au changement progressif. Par exemple, The Baltimore Charter for Women in Astronomy est établi en 1992 dans le but de d’assurer des chances égales aux femmes en astronomie.
Certaines femmes se distinguent alors par des contributions majeures. Nous pouvons citer Carolyn Shoemaker qui découvrit de nombreuses comètes et astéroïdes. Diplômée de l’université d’État de Californie à Chico en histoire et sciences politiques, Carolyn Shoemaker se lancera plus tard dans l’astronomie en tant qu’assistante de son époux Eugene M. Shoemaker. Ils découvrent ensemble, plus de 900 astéroïdes mais Carolyn s’intéresse plus aux comètes. Elle détient actuellement le record du plus grand nombre de comètes découvertes par un être humain, soit 32 comètes, dont la comète Shoemaker-Levy 9. Carolyn continue toujours ses recherches aujourd’hui.
Contrairement à Carolyn Shoemaker qui a une carrière majoritairement indépendante, Jocelyn Bell s’est distinguée non seulement par ses découvertes marquantes mais aussi par son influence dans le monde académique. Astrophysicienne britannique, Jocelyn Bell commence à s’intéresser à la physique à l’âge de 13 ans à la Mount School (Pensionnat pour filles), influencée par son professeur. Elle étudie ensuite à l’université de Glasgow et obtient un Ph.D à l université de Cambridge en 1969. Sa thèse, encadrée par Antony Hewish portait sur l’étude des quasars (Trous noirs particuliers, de masse très importantes et situées au centre d’une région extrêmement lumineuse).
Elle remarqua cependant au cours de ses observations des signaux encore inconnus et périodiques, dont la source sera plus tard identifiée comme étant une étoile à neutrons. Bell venait de découvrir le premier pulsar, mais le prix Nobel sera attribué en 1974 à son directeur de thèse Hewish pour cette découverte. Cette décision provoqua de nombreuses réactions négatives et fit polémique à l’époque, même si Bell ne s’y opposait pas. Elle reçut plus tard d’autres prix et distinctions dont Médaille Herschel de la Royal Astronomical Society en 1989, Prix Michael Faraday de la Royal Society en 2010, Médaille royale de la Royal Society, Prix de physique fondamentale en 2018, etc… Bell fut présidente de la Royal Astronomical Society de 2002 à 2004 (deuxième femme à obtenir se poste, la première étant Carole Jordan, de 1994 à 1996). Elle est aussi membre de nombreuses autres sociétés savantes.
Les contributions et distinctions de ces femmes servent aujourd’hui à en inspirer d’autres et à ouvrir de plus en plus les domaines scientifiques aux femmes, tout en luttant contre les préjugés sexistes. Plusieurs faits marquants de ces dernières années le montrent : la nomination de Penny Sackett en tant que cheffe scientifique d’Australie (première femme à ce poste) et celle de Jill Tarter en tant que directrice du centre de recherche SETI, par exemple.
Maria Korsaga (née en 1984) peut être considérée aujourd’hui à la fois comme un témoin et un moteur d’évolution. Maria est une astrophysicienne béninoise membre junior de l'Union astronomique internationale. Elle obtient en 2012 un DEA en physique appliquée à l'université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou. Elle se rend ensuite en France, au Laboratoire d’astrophysique de Marseille pour y faire une thèse portant sur la distribution de la matière noire et de la matière lumineuse dans les galaxies spirales et irrégulières, co-tutelle avec l'Université du Cap, en Afrique du Sud. Elle devient ainsi en 2018, la première femme titulaire d’un doctorat en astrophysique en Afrique de l’Ouest. Elle est affiliée à affiliée à l'Université Joseph Ki-Zerbo en 2022.
Rédigé par Bryne T.
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